La fondation de la commune de La Vicomté sur Rance

Jusqu'en 1877, la commune de Pleudihen comportait une grande section dite de La Vicomté, qui correspondait au territoire de la commune actuelle à peu de chose près. Pleudihen fut une très grande paroisse bretonne « primitive » qui regroupait Saint Helen, Saint Solen dans les temps anciens.
Sous l'Ancien Régime, La Vicomté était une trêve de la paroisse de Pleudihen. Elle avait une chapelle, Sainte Anne des Airettes, construite en 1778 avec son cimetière. Son emplacement est rappelé par une croix en l'honneur de son fondateur, René Bouvet avocat au parlement de Bretagne.
Sainte Anne des Airettes devint chapelle paroissiale jusqu'en 1870, puis école publique et fut démolie vers 1900.  

  Cadastre de 1844 - la chapelle Sainte Anne des Airettes figure en bleu

Cadastre de 1844 - la chapelle Sainte Anne des Airettes figure en bleu

 

Nous sommes en 1850

La « grande révolution » est déjà loin. Elle a transformé la société et les mœurs. Le premier empire a réorganisé l'administration. La deuxième république est en train de laisser la place au second empire. Ces dernières années ont été agitées à Paris et dans quelques grandes villes. Mais à Pleudihen ?
D'après le nombre de constructions dans la région, on vient de vivre trois ou quatre décennies de prospérité au cours desquelles de nombreuses propriétés ont changé de main, les situations de petites fortunes se sont multipliées et consolidées. Et même si les dernières années ont été calamiteuses (mauvaises récoltes de 1844 à 1848 particulièrement causées par la maladie des pommes de terre, mais également aux mauvaises récoltes de céréales – hivers très rigoureux et été très secs), on a confiance dans l'avenir. Le développement économique est sensible mais ne fait pas peur. Ici le lin, le chanvre et le tissage marchent encore. Les amendements améliorent les sols et le rendement des cultures. Le commerce s'active, les routes et les chemins se modernisent. Le canal d'Ille et Rance ouvre les horizons ... On est en paix ou presque depuis 35 ans ! On peut acheter l'exemption du service des armées pour se consacrer à ses affaires personnelles... ! Et on  découvre (ou redécouvre) le suffrage universel. En tous cas, on va le mettre en œuvre de manière exemplaire. Même si tous n'ont pas encore le droit de voter, ici tout le monde est appelé à donner son avis.

Depuis 1837 une loi organise les réunions, divisions et formations de communes.

 

La section de La Vicomté souhaite se séparer du reste de la commune de Pleudihen.

Le 10 mars 1850 les « Vicomtois » écrivent au préfet des Côtes du Nord. Ils demandent l'érection de leur section distinctement de la commune de Pleudihen, sous le nom de La Vicomté sur Rance et joignent à ce courrier très circonstancié plus de 80 signatures en y précisant le périmètre souhaité de la future commune.
Cette volonté fait certainement suite au refus des « Vicomtois » de participer au financement de la nouvelle église de Pleudihen.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              
Cette future commune aurait une superficie de 600 à 700 hectares et une population de 1100 habitants environ.
Les soussignés est-il précisé « s'engagent en leur nom et au nom de leurs commettants à faire bâtir à leurs frais une église suffisante et à se procurer un cimetière, un presbytère et une mairie ».

A la suite de ce courrier le préfet donne en date du 21 mars 1850 des instructions au sous-préfet de Dinan afin de prescrire une enquête (commodo-incommodo) et la formation d'une commission syndicale appelée à donner son avis sur le projet.

L'enquête de commodo-incommodo du 18 avril 1850 n'est pas favorable au morcellement de la commune de Pleudihen car « elle pourrait donner lieu à d'autres demandes de ce genre de la part d'autres villages qui peuvent faire valoir le même genre d'arguments mis en avant (éloignement du bourg notamment) ».
Après moult débats, tergiversations, prorogations et reports de l'enquête consultative menée auprès des habitants en juin 1850, les habitants de La Vicomté maintiennent leur projet de séparation, bien qu'une minorité y soit opposée (155 pour – 47 contre).
Le 6 août 1850 le sous-préfet s'oppose au projet de scission.

 

De 1862  à 1876 les Vicomtois reprennent l'initiative.

Le 10 novembre 1862, le maire de Pleudihen présente au conseil municipal une demande des habitants de La Vicomté. Ceux-ci souhaitent que soit érigée dans ce village une « succursale » qui resterait entièrement dépendante de la commune de Pleudihen.
Le conseil donne son accord à la condition qu'aucune demande de sécession de la Vicomté ne soit faite, et (que ce soit)  « aux frais exclusifs des habitants de La Vicomté ».
Le 10 mai 1865 les habitants de La Vicomté demandent l'ouverture d'une école dans leur village. Ils fournissent la « maison » et s'engagent à payer l'instituteur, si nécessaire. Ils reçoivent un avis favorable du conseil municipal de Pleudihen.
En novembre 1865, le maire fait savoir au conseil municipal que M. le recteur, ayant fait une quête en vue de la reconstruction de l'église, écrit avoir reçu l'accueil le plus gracieux dans toute la paroisse, si ce n'est toutefois des habitants d'une section qui désire se séparer de la paroisse mère...
 
Le 13 juin 1865 à l'initiative de 7 habitants de la Vicomté et sous l'autorité d'un notaire : « est ouverte une souscription à l'effet de recueillir les dons des habitants désireux de voir ériger une église succursale et à l'établissement d'un cimetière, les requérants étant dans l'intention de se pourvoir auprès des autorités compétentes pour obtenir toutes autorisations nécessaires.   
Toutes les souscriptions seront reçues soit en numéraires, soit en nature ou en promesses de travaux quel que soit leur montant ou leur évaluation.
Elles seront exigibles dans trois ans de ce jour et au fur et à mesure que le besoin s'en fera sentir ».

Ce premier jour,  92 personnes souscrivent pour un montant de 15.408 Frs et 2 personnes offrent le terrain nécessaire à l'édification de l’église. Les jours suivants sont recueillis d'autres souscriptions. Une tournée est même organisée afin de rencontrer en leur domicile les personnes qui ne s'étaient pas encore déplacées …
Au total la souscription a rapporté un peu plus de 29.000 Frs en numéraire.
Pour une population estimée à 1200 habitants, il y eut 248 souscripteurs. Une soixantaine d'entre eux ont souscrit à la fois en numéraire, prestations ou en nature (produits - pierre, sable, bois... en journées de travail, en journées de harnais - transport, en terrain).

Bien qu'on ne connaisse pas le nombre exact de foyers, sur cette partie de la commune de Pleudihen, on peut penser que la presque totalité des ménages ont apporté leur contribution à la construction de la nouvelle église.

 

Informations contenues dans les documents parvenus jusqu'à nous.

  1. Environ 110 personnes requises de signer déclarent ne savoir le faire.
  2. Les hommes déclarent tous leur profession. Faite devant témoin cette déclaration doit être exacte. Mais nombre d'entre eux exercent plusieurs métiers et ne déclarent qu'une activité, vraisemblablement principale.

Les métiers déclarés

Laboureurs ou cultivateurs 37 personnes

En rapport avec la Rance et la mer

  • Marins
  • Bateliers
  • Eclusiers
  • Douaniers

66 personnes

  • 44 personnes
  • 19 personnes
  • 2 personnes
  • 1 personne

Métiers du bois

  • Cerclier
  • Charpentier
  • Fendeur
  • Menuisier
  • Sabotier

31 personnes

  • 2 personnes
  • 16 personnes
  • 6 personnes
  • 6 personnes
  • 1 personne

Métiers de la pierre

  • Tailleur de pierres
  • Piqueur de pierres
  • Carrier
  • Maçon

23 personnes

  • 5 personnes
  • 5 personnes
  • 1 personne
  • 12 personnes

Métier de la toile

  • Tisserand
  • Couturière
  • Tailleur d'habit

12 personnes

  • 4 personnes
  • 7 personnes
  • 1 personne

Métiers divers

  • Arpenteur
  • Aubergiste
  • Maréchal
  • Cordonnier
  • Chiffonnier
  • Couvreur
  • Boucher
  • Marchand
  • Charron

18 personnes

  • 1 personne
  • 3 personnes
  • 3 personnes
  • 5 personnes
  • 1 personne
  • 1 personne
  • 1 personne
  • 1 personne
  • 1 personne

Salariés

  • Journalier
  • Domestique
  • Manoeuvre

21 personnes

  • 9 personnes
  • 11 personnes
  • 1 personne

Les autres souscripteurs de déclarent 

  • Propriétaires
  • Ménagère

9 personnes

  • 8 personnes
  • 1 personne

 

On aura noté que dans ce tableau il n'y a pas de boulanger.... le pain est cuit dans le four du village.

Les travaux de construction de l'église (*) qui deviendra le centre du nouveau bourg débutèrent en 1867 selon les plans de Mr Launay architecte à Dinan.
Jusqu'en 1844 il n'y avait là aucune maison le long de cette route menant de Pleudihen à Dinan. L'église est achevée moins de deux ans plus tard et reçoit son premier recteur en février 1869, M. Rault.
« Il est rétribué par les deniers des paroissiens ».

L'église de la Vicomté sur Rance « Église bâtie par la foi de ses habitants »

 

Le 18 avril 1869, le conseil municipal de Pleudihen est appelé à donner son avis sur l'acceptation de deux donations en date du 29 mars 1869 au rapport de Maître Richard, notaire en cette commune, par François Le Père et Jacques Briand, à la partie de la commune dite La Vicomté, de deux pièces de terre contenant ensemble 12 ares 70 centiares, destinées à servir de cimetière à cette section lorsqu'elle sera érigée en paroisse.

17 juin 1869 - La section de La Vicomté demande à être érigée en paroisse, succursale de la commune de Pleudihen; « Le conseil municipal, considérant le grand éloignement de ladite section du bourg de Pleudihen, que cette section a construit à ses frais une très belle église, que des âmes généreuses de la section ont donné des terrains pour l'emplacement du cimetière et du presbytère ».

9 juillet 1870 - La nouvelle paroisse est reconnue par l’État et rémunèrera le curé (régime concordataire).

6 novembre 1870 – le conseil municipal autorise les enterrements dans le nouveau cimetière.

Le presbytère est bâti en 1871/1872 par la fabrique (**) qui a fourni aux grandes dépenses et obtenu le reste en souscriptions et dons volontaires, y compris le terrain.

 

1876 – 1877 Les Vicomtois obtiennent la création de leur commune.

Le 27 mars 1876, les Vicomtois écrivent au sous-préfet de l'arrondissement de Dinan.

Autant en 1850, la demande des Vicomtois fut l'occasion de débats animés, autant en 1876, elle fut reçue sans opposition. Elle fut examinée selon les règles en vigueur et nécessita un grand nombre de réunions et un abondant courrier. La détermination des Vicomtois, concrétisée par toutes les actions qu'ils avaient conduites à leurs frais, fut reconnue de tous.

Ainsi lit-on sous la plume du sous-préfet de Dinan le 13 décembre 1876 :

« La demande des habitants de la paroisse de la Vicomté, tendant à former une municipalité distincte, s'appuie principalement sur la situation financière de cette section qui a pu construire sur ses seules ressources un presbytère, une église, des maisons d'école, et qui se dit en état de subvenir à toutes les dépenses que comporte le fonctionnement de services municipaux.

Les dépenses pour ces constructions ont été entièrement acquittées au moyen de donations et de souscriptions régulièrement autorisées. Cette section n'a donc pas engagé l'avenir de la commune, et sa situation financière me paraît dans d'excellentes conditions pour permettre son érection en commune, d'autant plus qu'à ce point de vue la grande majorité de ses habitants est dans une situation de fortune très aisée ».

 

Le décret créant la commune de La Vicomté sur Rance est daté du 7 avril 1877 pour devenir exécutoire le 1er janvier 1878.

Les électeurs municipaux de la commune de La Vicomté sur Rance furent convoqués le 12 août 1877 à l'effet de nommer le premier conseil municipal de cette commune, composé de 12 membres, conformément aux prescriptions de l'article 6 de la loi du 5 mai 1855, à raison de la population de la commune qui se montait à 969 habitants (arrêté préfectoral du 23 juillet 1877).

Un arrêté similaire convoquait les électeurs de la commune de Pleudihen, dans sa nouvelle configuration, pour le même jour, afin d'élire 23 conseillers municipaux, la population communale étant alors de 3799 habitants.

Le premier conseil municipal s'installa en janvier 1878 et fut composé de :

  • Jean Béthuel
  • Jean Trichet
  • Jean Busnel
  • Jean Gaultier
  • Etienne Bouétard
  • Julien Brebel
  • Jean Vaudelet
  • Jean Briand
  • Jean Postel
  • Victor Poullain du Reposoir
  • Louis Picard
  • Pierre Bouétard

Victor Poullain du Reposoir fut élu maire au 1er tour et Jean Trichet adjoint fut élu au 1er tour également.

Il est à noter que la commune de la Vicomté sur Rance est la 1ère commune à avoir accolé à son nom l'appellation « sur Rance ».

 

(*) Le clocher fut transformé en 1922 – le bulletin municipal du 20 septembre 2000 relate la transformation :
 « C'est en 1922 qu'il fut décidé de transformer le sommet du clocher pour lui donner un aspect un peu plus esthétique... Cette rénovation, avec quelques travaux intérieurs, était estimée à environ 15.000 Frs d'après le devis de Mr Dugenet, architecte à Dinan; jointoiement, nouvelle toiture, peintures intérieures. Le conseil municipal du 25 juin 1922 déclarait alors de participer à cette transformation pour un montant de 3.500 Frs ».
 L'abbé Carré, recteur depuis 1920, fit bonne collecte de « cotisations » pour assurer le financement des travaux. Il raconte :
 Le 11 juillet 1922, accompagné de Messieurs Eugène Boschel et Joseph Briand, conseillers paroissiaux, je me présentais dans toutes les maisons de la paroisse pour recueillir les cotisations nécessaires à la restauration de notre clocher. Partout nous reçûmes le plus cordial accueil. Le résultat obtenu dépassa nos espérances et en deux jours la souscription s'éleva à 9.900 Frs. La municipalité promit de nous accorder une subvention de 3.000 Frs. Ce geste qui l'honore grandement ne nous a pas surpris. Grâce au concours de tous, nous pouvions commencer les travaux. Mr Dugenet, architecte de Dinan, nous fit un plan en rapport avec nos ressources et Mr Renault, entrepreneur à Tressaint, fut chargé d'exécuter les travaux projetés.
 La croix qui surmonte le clocher est en fer forgé et a été faite par Mr Brehier, serrurier à Dinan, rue des Rouairies. Elle a coûté 1.000 Frs.
 L'un et l'autre ne nous donnèrent qu'une demi-satisfaction. D'après le plan, nous devions avoir un clocher très modeste sans doute, mais néanmoins très gracieux. La réalisation nous causa une déception et si j'avais cru Mr le Maire, nous n'aurions certes pas accepté les travaux qui étaient loin d'être conformes à ceux par nous exigés au cahier des charges et que l'architecte et l'entrepreneur s'étaient engagés à exécuter fidèlement.
 C'est à cette époque que l'on perça l'immense muraille du chœur, qu'on fit « un jour céleste » où l'on plaça Sainte Anne, patronne de la paroisse.
 Les peintures de l'intérieur de l'église et de la sacristie, ainsi que le vernissage des différents meubles, ont été faits par Mr Le Moal, peintre à Dinan.
 Ces travaux ne furent achevés que le 31 août 1924 ».


(**) La fabrique paroissiale est une assemblée de clercs et de laïcs chargés d'administrer les biens d'une église.

Le clocher avant 1922

Et depuis... L'horloge fut financée en 1998 par le dernier prêtre en poste à la Vicomté sur Rance l'abbé Pommelet

 

Sources : Le Babillard n° 5 et 8 à 11 Association Le moulin du Prat – Jean Jehanno


Publié le 20/01/2021